vendredi 27 novembre 2009

La femme, un personnage encombré!

Il est remarquable que le sexe dont on célèbre le plus la nudité dans l'art comme dans les médias soit, au sein de l'espace public, le plus chargé d'attributs superfétatoires. La femme ne gagne en effet sa féminité qu'au prix de nombreux ornements d'une silhouette qui in naturalibus est toujours suspecte des sournoiseries antagonistes que sont la séduction et l'androgénie. Comme si l'on craignait à la fois que la femme ne soit trop femme -c'est-à-dire séductrice- et qu'elle ne le soit pas assez au risque d'une confusion avec l'autre sexe -le péril androgyne!-.
Ainsi, en sus d'une chevelure généralement abondante et exigeante en soins comme en apprêts, la peau d'une femme se doit d'être fine et douce, et il lui faut habiller son corps d'une multitude d'objets: à son cou pendent des colliers, à ses oreilles des boucles, à ses poignets des bracelets. Enfin, prolongement extra-corporel d'une peau avec laquelle il partage sa substance, le sac-à-main, à la fois ustensile et ornement, vient couronner cet enrobage du corps féminin en même temps qu'il le garantit. En effet, s'il a en partie pour fonction de compenser l'absence fréquente de poches dans la mode féminine -les femmes s'habillent pour plaire et les hommes pour faire, c'est bien connu!-, il sert avant tout d'atelier de conservation du musée d'oeuvres éphémères qu'est le visage de la femme maquillée.
Crayons et pinceaux pour cils et sourcils, tubes de mascara, bâtonnets de rouge à lèvre, boîte de poudre de riz, éponges applicatrices, coton-tiges correcteurs: toute une artillerie lourde veillant au grain...et couvrant le front vénusiaque des assauts imprévus des affects et du temps.
Mais cette logistique de la décoration du visage est à la fois une manne et un fardeau pour la gent féminine. Ainsi, elle y trouve à la fois des ressources variées de mise en valeur plastique et tout un attirail encombrant qu'elle doit traîner avec elle sous peine de voir diminuer l'intérêt qu'on lui porte.
Magnifiée par un revêtement lumineux et coloré, un enrobage parfaitement lisse, un masque capable de cacher la fatigue ou la vieillesse, la femme est aussi empêtrée par les soins constants qu'il lui faut s'administrer pour que la pellicule délicate où elle projette et interprète son personnage ne perde rien de sa superbe.
Si l'on ajoute à cela la pratique des talons hauts et des vêtements moulants, on doit bien se rendre à l'évidence: la beauté qu'autorise ce nuage d'attributs ne peut être que statique! Pas question de courir en talons aiguilles, d'enfourcher un vélo avec une jupe fuseau et encore moins d'abîmer son fard par une sueur importune.

Ainsi, la figure souple et féline de la femme d'intérieur -dans une vision certes plus romantique que consumériste- se trouve au-dehors comme pétrifiée sous l'oeil pervasif et implacable d'une Méduse des canons de beauté. La tigresse d'alcôve s'est faite brebis boiteuse au doux lainage. Certes, d'une laine bigarée et multiple, mais surtout encombrante et étouffante, proliférant sous les injonctions des moutons mâles -à la toison plus courte mais pareillement standardisée-, qui jouissent bassement de voir la beauté de leurs femelles mise en boîte.
Chaque jour qui passe dans ce régime esthétique où la femme s'apprécie à son volume ornemental, et donc à sa statique*, est un enlèvement des sabines auto-perpétré. Nous autres sabins modernes ayant lu Ronsard, écouté Chopin et admiré Manet nous nous ravissons à nous-mêmes la beauté féminine pour aller l'enfermer dans des poupées gigognes dont les vives couleurs et le large sourire nous font oublier le vide et la coformité.
Et qu'importe si nos nymphes ont le corps trop lesté pour courir dans les bois, si nos naïades aux cheveux laqués craignent désormais l'eau des rivières, si nos Eves en mini-jupe laissent pourrir les pommes des jardins suspendus! Les Adams d'aujourd'hui s'en tiennent bien les côtes: "l'on ne peut plus danser, qu'à cela ne tienne: marchons en cadence!"

*à l'inverse du régîme masculin qui pourrait s'analyser comme relevant d'une dynamique de la surexcitaion où l'hyperactivité est le modèle à suivre.