lundi 21 septembre 2009

De l'encre à l'octet: qu'est-ce qu'écrire à l'ère des réseaux? Partie 1.

Qu'est-ce qu'écrire? « Tracer sur un support des signes convenus appartenant à un système d'écriture » (dictionnaire de l'Académie Française), « tracer les signes graphiques qui représentent une langue » (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales), ou encore «Créer une représentation de mots à l’aide de lettres et de symboles par le biais d’un média. (Wiktionnaire) »...j'ai volontairement laissé apparents les liens hypertextes de la dernière définition pour montrer que tant sur le fond que sur la forme, l'activité « écriture » est en train d'être profondément remaniée!

Néanmoins, les définitions ne sont jamais très éclairantes! Mieux vaut penser chaque terme de manière dynamique, comme un réseau de sens toujours en mouvement! J'ai affiché il y a quelques temps sur ce blog une phrase sentencieusement libellée comme ''aphorisme'' mais qui me tient très à cœur: « chaque mot est un théâtre sur la scène duquel la pensée joue toujours une pièce différente ». Combien de nuits blanches peut-on passer à chercher le mot juste pour un titre, une rime ou même une réplique et bien souvent le même mot peut apparaître deux, trois fois comme une solution possible mais sous un masque différent! Chaque mot a un lien vital avec le contexte qui l'a sollicité, et en retour ce contexte le nourrit d'une saveur qu'il ne perdra pas complètement dans ces usages ultérieurs, du moins pour celui qui l'aura employé par le passé. Contrairement aux apparences, les mots, ni même les phonèmes, ne sont pas les structures atomiques du langage: ce sont des réseaux dynamiques de significations!
A chaque immersion dans un contexte (la phrase en est un), ce sont différents pôles de ce réseau qui sont activés, et l'interaction entre le contenu pluri-signifiant du mot avec ce contexte fournit le sens de l'expression. L'existence de sens multiples ''officiels'' pour un seul et même mot est le résultat d'un processus de différenciation d'un syntagme avec son contexte initial de production. Au fur et à mesure que l'utilisation d'un syntagme s'éloigne de son script originel pour s'inscrire dans un nouveau contexte de sens stabilisé, ce syntagme acquiert une nouvelle signification susceptible plus tard d'entrer dans un dictionnaire. Les lettres et les mots sont ainsi comme des légos accompagnant un enfant dans le temps. Les combinaisons qu'il fera seront sans cesse différentes et le sens pris par chaque pièce dans ses constructions évoluera au gré de son imagination.

Mais revenons aux définitions données en exergue de ce texte. Le contraste entre celle proposée par l'Académie Française et le dictionnaire de Wikipedia est frappant. La première assimile l'écriture au tracé de signes sur un support, tandis que la seconde la caractérise comme la création de représentations de mots « par le biais d'un média ». Ainsi, alors que la définition de l'Académie relève encore de l'ordre classique du tracé et de la matérialité du support, celle du dictionnaire « libre » (puisque tout internaute peut y contribuer) remplace la continuité du tracé par la combinaison de « lettres et de symboles » s'effectuant non plus « sur un support » mais « par le biais d'un média »: de graphique et matérielle, l'écriture devient combinatoire et virtuelle.

Notre propos n'est pas ici de classer ces différentes définitions selon qu'elles seraient plus ou moins valables, mais simplement de montrer qu'une transformation s'opère dans la façon d'envisager l'écriture à l'ère des technologies de l'information et de la communication. Dans la deuxième partie de ce texte, on essayera de comprendre ce que signifie « être écrivain » dans un contexte de connexion permanente au « réseau des réseaux » et on se penchera sur les nouvelles pratiques rédactionnelles introduites par l'usage de l'ordinateur et d'internet, en tentant d'en tirer des conséquences sur la nature des discours produits et leurs rôles dans la « société de l'information ». On y défendra l'hypothèse qu'on assiste à une nouvelle mutation de l'« auteur », qui explose définitivement l'image du démiurge transcendant et strictement individué au profit d'une figure éclatée et réticulaire d'un écrivain agrégateur de représentations.