Arrivé au bar,
il retrouve d’un coup d’œil les quatre suédoises, qui viennent d’aller déposer
leurs manteaux au vestiaire et qui essayent de passer leurs commandes. Il fait
semblant de ne pas remarquer le comby-short ultra-sexy qu’Ebba cachait bien
sous son trench coat interminable. Il
prend tout de suite les devants et lui demande :
-
« What do you want to drink ? »
-
« A vodka-redbull, please ! »
-
« OK. I get that for you ».
Djamel se penche
aussitôt sur le comptoir comme s’il voulait monter dessus et lance à la
serveuse un « eh s’il-vous-plaît » sec et puissant qui fait mouche du
premier coup :
-
« Une vodka-redbull
s’il-vous-plaît ! »
On lui répond
d’un chiffre, le prix : 10€. Djamel hésite une seconde, puis sort son
portefeuille de la poche arrière de son jean. Il aurait préféré ne pas avoir à
faire ce geste si tôt dans la soirée…Mais dès qu’il revient vers Ebba, il oublie les 10€ et
accompagne le grand verre doré qu’il lui ramène d’un sourire qui est lui,
plutôt argenté :
-
« You are my guest, Ebba ! »
Ebba accepte le
verre que lui tend Djamel avec une mimique adorable : on sent qu’elle a
l’habitude de se faire inviter. Elle lui propose de partager le verre avec
elle ; il ne dit pas non. Les minutes passent : plus il partage son
verre, moins la conversation demande de l’effort à Djamel. Les mots anglais coulent de façon congrue à la
quantité d’alcool et lui viennent naturellement. Quand il
sèche sur une expression compliquée, sa confiance trempée au whisky prend le
relai et il laisse le silence déployer entre lui et Ebba toute sa saveur
d’intime complicité. Il en profite pour appuyer un peu plus ses regards.
Ceux-ci, de plus en plus lourds, se mettent à obéir à la gravitation et à
couler comme une rivière de désir le long du corps sinueux d’Ebba. Il
voudrait bien le toucher ce corps, mais il sait qu’ici, au comptoir, c’est
impossible, ou très dangereux ! Cinq mètres plus loin, sur la piste, tout
est permis :
-
« You dance ! », lance alors
Djamel à Ebba, en l’invitant d’un léger signe de tête.
Ebba lui répond
d’un sourire discret mais avenant et le précède sur la piste. Djamel se tourne
alors vers Keith et les trois suédoises, qui n’ont rien perdu de la scène, et
leur adresse un clin d’œil furtif.
Sur la piste, ça
se passe tout de suite bien. Djamel et Ebba sont à un mètre l’un de l’autre, ne
se regardent, conformément aux codes en vigueur, que par intermittence, mais le
courant passe. Ebba danse bien. Elle est d’une sensualité étonnante sur cette
Tech House binaire et mastoc : elle trouve des contretemps avec ses
hanches, va chercher avec ses mains des notes imaginaires, et avec la rondeur
de ses mouvements parvient à mettre de la chair à cette musique de métal et de
béton. Djamel suit. Il est plus Hip Hop que House mais il ne s’en sort pas mal
avec son style nerveux et électrique. Les morceaux passent, s’enchaînent dans
la fluidité des d’un mix parfaitement chiadé : c’est un bon le DJ, ce
soir ! D’ailleurs, il a son petit cercle de fans au pied de son box
surélevé. Ils dansent les bras en l’air, l’i-Phone toujours braqué sur
lu, ils ont l'air content.
Ebba et Djamel,
eux, sont loin de tout ça. Il sont dans la pulsation, le souffle, le geste et
la sueur : ils sont au cœur de l’instant ! Djamel sue peu. Malgré
cela, en bon métrosexuel, il faut que tous les jours la bille de son déo roule
pendant trente secondes sous chacune de ses aisselles. La sueur, c’est l’ennemi
du lover !
Djamel regarde
Ebba de plus en plus souvent. Elle, de son côté, ferme les yeux de plus en plus
longtemps. Son visage est devenu légèrement luisant. A force de passer ses
mains dans ses cheveux, Ebba s’est fait un savant anti-brushing sauvage. Des
mèches de cheveux viennent se coller sur ses tempes, d’autres finissent entre
ses lèvres : elles les laissent faire…Djamel attend un signe pour se rapprocher.
Il faut qu’il y aille avant que ses copines se ramènent, sinon elles vont se
mettre à danser en groupe, et là ce sera verrouillé, mort !
-
« A la prochaine, j’y vais »,
s’exhorte Djamel avec ce qui lui reste de capacité stratégique.
Et la prochaine
arrive justement, après une interminable sirène policière de synthèse qui
s’évanouit dans un tonitruant silence de trois secondes. La tension est
palpable parmi la foule. Est-ce maîtrisé ? Est-ce délibéré de la part du
DJ ? La voix amplifiée dans les graves
de ce dernier vient lever le doute puis demande à la foule si elle en
veut encore. La foule crie que oui. Les basses reprennent, encore plus fort.
Djamel a son signe. Il avance d’un pas. Après le silence de trois secondes
–audace suprême du DJ–, le son semble revenir des profondeurs mêmes du silence.
Il monte et monte et se saisit avec violence des corps laissés interdits par la
brèche béante de son. En quelques secondes, celui-ci a repris possession de l’espace
et les êtres qui l’occupent ont retrouvé le moteur de leur mouvement perpétuel.
Djamel, lui, est à portée de souffle d’Ebba.
Leurs corps ne
se touchent pas, mais ils sont dans le même halo : celui des frôlements et
des parfums, de la tension suggestive de chaque geste, du flirt en somme. Leurs
corps, insensiblement, se mettent au diapason l’un de l’autre. Djamel assouplit
ses gestes vifs, Ebba met du nerf à sa sensualité. Ils restent comme ça dix
bonnes minutes, à se frôler et à se sentir, ne se regardant que furtivement, ne
franchissant jamais la maigre distance qui les sépare du contact. Quand la main
de Djamel vient se poser sur la taille d’Ebba, les deux ressentent un petit
électrochoc, tant ils s’y étaient habitués à ce halo confortable de charnelles
suggestions. Le halo brisé, Djamel est un instant décontenancé par sa main
qu’il sent posée là-bas, bien loin, sur le corps tout chaud et tout dense
d’Ebba. Il faut qu’il la rejoigne au plus vite, sa main, s’il ne veut pas que
le naturel de la situation s’effondre. Alors il y va. Il met sa deuxième main
sur l’autre hémisphère de la mince mais très habitable taille d’Ebba, et délicatement
rapproche son ventre du sien, mêle ses jambes aux siennes et colle son pubis au
sien. Quelle sensation magique que cet alunissage tout en désirs contenus sur
la planète Ebba ! C’est fou comme deux êtres humains nés et poussés si
loin l’un de l’autre peuvent s’emboîter avec tant d’aisance, comme si leurs
corps avaient été designés pour
s’encastrer l’un dans l’autre. Leur
intrication donne à Djamel et Ebba l’énergie nécessaire pour franchir un
nouveau seuil et atteindre l’état des corps en fusion. Tempe contre tempe, main
contre hanche, sexe contre sexe, dans la colle merveilleuse du son et de la
sueur, ils laissent leur bassin prendre le large et naviguer sur la houle
lascive de l’océan des rythmes caribéens. Peu leur importe que la Tech House
qui passe à ce moment-là soit sèche et raide comme une barre d’acier, ils
veulent bouger comme c’est bon, pas comme c’est bien, pas « comme il
faut », et tant pis si ça ressemble à du zouk !
Il faut se
méfier de l’esprit dans ces moments de grâce où l’être s’abandonne au présent,
c’est-à-dire à son corps. On a beau s’efforcer de l’étourdir, l’esprit, à coup
de shots à 50° ou d’efforts éreintants, il revient toujours, même titubant et
noyé dans les vapes. L’esprit de Djamel, peut-être mû par l’archaïque souci
mâle de l’initiative en amour, lui intime d’ouvrir un œil. Comme ça, par
prudence, juste pour voir si tout va bien autour, si son territoire est
circonscrit, sous contrôle. Djamel obéit. La tempe toujours collée à celle
d’Ebba, il remonte mollement ses paupières, et balaie la brume arc-en-ciel
autour de lui : Keith et les suédoises sont là, à 1m d’eux. Ils forment un
cercle sage, bien écarté, très loin du halo du flirt encore. Djamel s’apprête à
refermer les yeux, puisque tout semble bien se passer, quand Keith, qui a repéré
l’imperceptible distraction de son pote, en profite pour lui lancer –histoire
de se donner contenance auprès des filles– :
-
« Alors, mec, ça gère ? »
Sans penser à
mal, avec sa petite phrase débile, Keith vient de faire exploser, comme ça
l’air de rien, sa bulle d’intouchable présent. Djamel le sait. Il sent déjà
Ebba se décoller de lui et tourner la tête vers l’origine du son, heureusement
inintelligible pour elle. Cela n’empêche pas l’inéluctable réaction en chaîne
de se produire. L’une des autres suédoises capte le mouvement de tête d’Ebba et
en profite pour l’inviter d’un geste de la tête à venir les rejoindre. Ebba
entame alors un très léger mouvement de recul, mais Djamel le ressent comme un
douloureux et irréversible déracinement. Elle le fixe alors droit dans les
yeux, lui adresse un grand sourire et en inclinant la tête sur le côté, comme
pour dire « c’était bien » ou « tu ne m’en veux pas », elle
s’en va rejoindre ses copines.
Djamel ne laisse
rien paraître de sa déception. Il voudrait bien reprendre quelques gorgées de
whisky, mais la lâcheté de sa chaussette droite lui rappelle que le blond
liquide n’est plus tandis que la légèreté de sa poche arrière lui indique que
l’autre forme de liquide –celle qui a le pouvoir d’être le contenant de toutes
les autres– risque de très vite connaître le même sort. Il suit donc Ebba et se
raccroche à son pote Keith, qui, après avoir été la matraque anti-flirt devient
la béquille anti-loose :
-
« Alors ça va mec », lui dit Djamel,
« t’as fait connaissance ou quoi ? »
-
« Bah ouais carrément…en plus elles parlent
un anglais nickel donc ça aide…mais toi t’as pas besoin de ça,
enfoiré ! »
-
« Ouais, c’était chaud », fait Djamel,
modeste, « elle est juste magique c’te fille ! »
Et le groupe
absorbe les deux nouveaux venus dans un cercle de danse individuelle et
néanmoins connectée. Ebba prend bien soin de ne pas trop regarder Djamel,
lequel affecte l’indifférence du parfait clubber.
Son regard se porte vers le haut, vers les spots de lumière et le vide, au gré
des mouvements de sa tête qui balance machinalement. Plusieurs minutes passent.
Le groupe reste en formation serrée, mais chacun de son côté. Puis soudain,
Djamel, qui se bornait à battre mécaniquement le rythme, rompt le cercle et
vient se mettre en son centre. Un morceau typé Hih hop vient de commencer et
l’a comme électrisé. Il commence à breaker avec des pas très énergiques,
virtuoses, pris d’une rage des semelles qui polarise immédiatement l’attention
du groupe vers lui.
Au début, il
pense à Ebba au moindre de ses mouvements. Il veut lui en mettre plein la vue,
il veut l’ebbahir ! Il vient
faire un running man juste devant
elle, faisant mine de courir vers elle avec de grands gestes des bras pour
l’atteindre, avant de feindre d’être aspiré en arrière par une force contraire,
incoercible. Puis, imperturbable, il reprend ses crosswalks, fourmillement de
pas latéraux frénétiques et maîtrisés. Tout le monde est sur le cul, Ebba
comprise. On applaudit :
-
« Ouhhhhhhhh », font les suédoises et
Keith en chœur.
Djamel s’élève.
Les ovations ont rejoint la boisson dans l’ascenseur de son ivresse, qui monte
encore d’un étage. Insensiblement, il est en train de passer dans un nouvel
état de transe, non plus sensuelle désormais, mais rythmique : l’esprit du
Show a pris possession de lui. Bientôt, il ne pense plus à Ebba ni à personne,
il ne pense plus à rien d‘ailleurs, il danse c’est tout. C’est un corps en
mouvement qui met le rythme en chair, le tempo en espace et qui absorbe de plus
en plus loin les regards de la foule. Le cœur du son palpite en lui, et à ce
moment précis, l’épicentre de la soirée, c’est lui !
Djamel ne s’appartient
plus. Il danse comme jamais il n’a dansé. Toute l’histoire du Hip hop traverse
ses mouvements. Il passe d’une époque à l’autre, d’un style à l’autre, avec
naturel et inspiration. Il mêle les pas de toutes les époques, les Happy feet
de la old school et les C-walk des gangstas de L.A. de la new school, et à chaque nouvel
enchaînement, la foule se fait plus dense autour de lui !
Plus la foule se
presse, plus il prend l’énergie de cette attention tendue vers lui et la
convertit en audace et en intensité dans la danse. Il a remarqué que sa façon
de faire le Harlem Shake –le pas de
Hip hop, pas le mème Internet qui a ravagé Youtube en 2013– un pas qui exige de
savants tremblements et ondulations du buste, déclenchait des olas parmi la
foule. Il en profite pour exagérer encore les vagues qui parcourent son torse,
donnant l’impression de jouir d’une singularité anatomique : un dos sans
articulation. Ce qui ajoute encore à l’impression que fait ce pas sur
l’assistance, c’est la touche orientale qu’y met Djamel, avec ses épaules
oscillant harmonieusement, avec une fluidité d’huile d’olive. C’est à la fois
viril et sensuel ce qu’il fait, et personne n’est là pour trouver ça efféminé
tant le spectacle est sidérant de puissance et de virtuosité.
Djamel vient
justement de se lancer dans un Harlem Shake d’anthologie. Son torse et ses bras
sont comme de petites barques de chair sur une tempête rythmique qui y creuse
des trous abyssaux…et le feu de la danse tient bon, en équilibre précaire et
superbe, tantôt dans le creux de la vague tantôt dans l’écume de son sommet…il
joue avec ce feu Djamel, comme un jongleur le fait avec des torches…il le fait
passer par les recoins les plus improbables de son corps, dans l’intérieur de
ses coudes, sous ses omoplates désarticulées, entre ses dents et ses lèvres
–qui dansent aussi– dans les plis obscurs de ses doigts qui départagent ses
phalanges. Et le feu glisse, saute, court et vole avec des explosions de
gestes, des vacillements de muscles, pliant ses flammes au
labyrinthe mouvant du corps de Djamel. Qu’elle est loin, Ebba, qu’ils sont loin
Keith et les autres, qu’ils sont loin tous ceux qui le regardent et le touchent
presque des yeux ! Lui est seul là-haut et danse avec le son. Il l’a comme
kidnappé le son, et enfermé dans la prison de son corps. « Allez, c’est
bon, je vais vous le rendre! », pense Djamel en se lançant dans une
dernière ondulation, un tsunami musculo-articulaire qui va catapulter le son
parmi la foule et libérer tous ces corps transis de leur admiration médusée du
dieu du groove.
Mais Djamel ne
terminera pas son geste. Le tsunami n’atteindra jamais les rives multitudinaires
du Mix Club ! Un éclair de douleur lui transperce le dos de part en part
et il s’effondre dans un cri au milieu de la piste. Keith est le premier à se
précipiter vers lui, suivi aussitôt d’Ebba et des suédoises :
-
« Putain qu’est-ce qui t’arrives, mec ? »
-
« Ch’ai pas, on dirait qu’j’ai pris un coup
de taser dans la colonne, ça fait trop mal ! »
-
« Merde ! Tu peux te lever ? »
Djamel esquisse
un mouvement, beaucoup moins virtuose que ceux qu’il exécutait il y a quelques
secondes à la verticale, puis :
-
« Nan c’est mort, j’peux plus bouger ! »
Sa tête retombe
sur le dancefloor avec un de ces soupirs qu’on pousse pour canaliser la douleur.
Ebba s’approche alors de Keith, encore dans la torpeur de l’indécision et lui
demande :
-
« Is he OK ? »
Keith se
contente de faire non de la tête, puis a l’idée de lui demander de rester près
de lui pendant qu’il va prévenir la sécurité et certainement appeler les
pompiers. Ebba dit que oui bien sûr elle s’en occupe.
Keith parti,
Ebba se penche sur le corps de Djamel, que le feu de la danse a si violemment
déserté. C’était une sorte de djinn bondissant il y a quelques instants, le
voilà désormais en improbable gisant au milieu d’une masse de silhouettes verticales
et mouvantes.
-
« How are you Djamel ? », lui
demande Ebba d’une voix douce, élégamment accroupie à côté de lui, plus sexy
que jamais dans son comby-short tendu par sa posture. Djamel se mord les lèvres
de ne pouvoir franchement tourner la tête.
-
« I am dead », lui répond Djamel,
laconique, le regard transperçant le plafond de la boîte de nuit.
La gorge d’Ebba
laisse échapper un petit rire, vite confiné, puis distille en direction de Djamel
une chaude voix de réconfort :
-
« No you are not, Djamel ! It’s just a
lumbago, I think ! »
-
« Ah y’a aussi ce mot-là en anglais ! »
-
« Sorry ? »
-
« Heu…it’s just that we also have this word
in french : « lum-ba-go » », fait Djamel en articulant le
mot qui le torture à la française.
-
« Ah ! Don’t worry with that : it’s
very painful but it’s not very serious. In two weeks, you’ll be dancing again ! »
-
« Mais toi tu seras où dans deux semaines »,
bredouille Djamel en français.
Il n’a pas la
force de traduire le crépitement des mots qu’il sent bouillir en lui, et avec
lesquels il voudrait bien éclabousser un peu Ebba, mais gentiment hein, juste
pour la réchauffer, parce que les mots de Djamel là, même si son corps est
froid et raide, ils sont chauds bouillants ! Ce qu’il aimerait aussi, ce
qu’il aimerait plus que tout au monde à cet instant précis, c’est pouvoir se
relever et danser encore avec Ebba. Mais la douleur est là, impérative et
métallique, plus intense hélas que n’importe quel désir humain, qui n’est
jamais que de chair et d’os. Alors il trouve seulement le courage de tourner un
peu la tête, de faire couler ses yeux jusqu’à ceux d’Ebba et de lui demander :
-
« Can you dance, Ebba, please ? »
Sans un mot,
Ebba sourit, se lève et commence à danser, avec fluidité et élégance, comme
elle le faisait si bien devant lui puis avec lui tout à l’heure.
-
« Elle est juste magique c’te fille »,
pense Djamel.
La foule autour
d’eux a repris son mouvement perpétuel comme si aucun corps intrus ne se
trouvait là, immobile à l’horizontal. Des dizaines de pieds frôlent Djamel
chaque seconde, mais il ne s’en soucie pas. Son regard, la seule chose en lui
qui soit encore mobile, danse avec Ebba. Et lorsque Keith
vient fendre la foule suivi de deux pompiers portant une civière, Djamel ne
leur prête pas la moindre attention. Il roule doucement des yeux comme Ebba le
fait des hanches, il contracte et dilate ses iris –en syncope pour le groove–,
et bat la mesure de ses paupières hallucinées, qui couveront longtemps l’image
de cette Ebba, la fille venue du froid, danseuse « juste magique ».