Depuis la crise étasunienne des « crédits immobiliers toxiques » de 2007 jusqu’à la crise européenne des « dettes publiques » de 2011, il semble que l’on n’ait pas appris grand-chose de nos déboires. Les bourses du monde entier continuent d’être ces lieux sans corps où une poignée de cerveaux détournée de plus nobles usages continue de se tailler des queues en or (ça ne veut rien dire mais c’était pour la contrepèterie…je vous laisse chercher), tandis que la croissance et le crédit continuent de danser, devant les yeux ébahis des épargnants, leur valse pompeuse du plein et du vide, du mal-être et du néant !
Car c’est bien de cette alternative que se nourrit l’économie financière : du vide d’un côté, cet appel d’air d’investissements dans lequel s’engouffre le crédit ; et du mal-être de l’autre, cette course à la croissance auxquelles les entreprises acceptent de s’adonner, aiguillonnée d’ailleurs par les échéances des crédits qu’elles ont pu contracter, et mettant en branle la tectonique socialement douloureuse des ajustements structurels et des délocalisations.
On s’est scandalisé en 2007 de la diabolique titrisation que les banques étasuniennes avaient orchestrée, en mélangeant dans leurs chaudrons sans fond des crédits de ménages insolvables avec des crédits de ménages aisés ou riches, et en répétant l’opération jusqu’à ce que même les plus démunis des hobos puissent prétendre devenir propriétaires. On a crié sur tous les toits qu’on ne voulait plus de « subprime » et que les financiers étaient vraiment irresponsables ! Mais avait-on touché le fond du problème ? Aujourd’hui, la situation est analogue: tout le monde semble d’accord pour critiquer les agences de notations. Les plus libéraux d’entre nous vilipendent ces instituts non-indépendants qui sont rémunérés par leurs clients et qui font et défont les gouvernements des pays imbéciles qui ont accepté de se défaire de leurs banques centrales pour ne s’endetter qu’auprès des marchés ! Et tandis que les gouvernements de l’Europe du Sud continuent de tomber, poursuivant tel un effet domino parfaitement circulaire le mouvement de chute des régimes commencé en janvier en Tunisie et dont Zapatero, il y a deux semaines, fut la dernière victime, on n’en a que contre ces exécrables agences qui fourvoient un système bien pensé vers l’ornière de le défiance, puis de la crise ! Là encore, ne sommes-nous pas en train de nous acharner sur un arbre qui cache une forêt bien plus effrayante ?
La mission des marchés financiers, c’est-à-dire des bourses de valeurs où se négocient les titres des entreprises, c’est, en dernière analyse d’alimenter la croissance. Or la croissance passe par les performances des entreprises, lesquelles ne peuvent s’accroître sans investissements, investissements qui peuvent requérir des emprunts. Maintenir la disponibilité du crédit, voilà donc la sacro-sainte mission des marchés financiers, mission pour laquelle les états vont de plans de sauvetage des banques en plans de rigueur des dépenses publiques.
En réalité, tout se passe comme si le capitalisme financier, en projetant systématiquement les difficultés du moment dans un horizon vague de performances futures, offrait des miettes de présent (la somme de l’emprunt) en échange de gros morceaux de futurs (l’emprunt + les intérêts), taillés par ses soins à l’image du travail et de la rentabilité. L’économie du crédit, dont la finance est le maître-d’œuvre, opère ainsi selon la même logique que ce management par « projets » dont les sociologues Luc Boltanki et Eve Chiapello faisait un des piliers du 3ème esprit du capitalisme qui sévirait aujourd’hui. C’est le même principe de mobilisation des forces présentes vers une réalisation future. C’est le même mécanisme de contrôle social par l’hypothèque des avenirs et la course à la performance.
Les partisans de cette économie sans rétroviseur, croissant sans mesure et comptant les bulles éclater dans son ciel pacifié, proposent aux peuples le pacte suivant : « pour continuer à marcher aujourd’hui, demain vous devrez courir !...mais attention, sans jamais cesser d'aller au pas ! ».