dimanche 17 février 2013
jeudi 31 janvier 2013
"Résurrection" de Tolstoï
Un roman social sur le monde carcéral russe, une critique en règle de la religion comme idéologie et une célébration de la foi comme soif de justice et elan fraternel
Pour cette deuxième chronique consacrée au regard sociologique des
écrivains, je propose de nous déporter –sans vilain jeu de mots– en Russie,
dans la Russie prérévolutionnaire de la fin du XIXème siècle, la Russie de
Tcheckov, de Dostoëvski, de Gogol et de Gorki, mais avant tout la Russie du
grand Tolstoï…Tolstoï, l’auteur du roman-monde Guerre et Paix et d’Anna
Karénine, Tolstoï qui a donné ses terres à ses serfs en 1856, cinq ans
avant l’abolition du servage, Tolstoï le pacifiste et l’internationaliste
convaincu, Tolstoï enfin le mystique et l’anarchiste convaincu, ardent d’une
foi chrétienne qu’il voudrait sans entrave dogmatique et cléricale…
Nous sommes en 1899, et Tolstoï publie son dernier roman : Résurrection,
une enquête sociologique et mystique sur l’univers carcéral russe, qui balaye
aussi bien les prisons de Nijni-Novgorod que les bagnes de Sibérie,
l’administration pénitentiaire et les tribunaux tsaristes. L’effort de
documentation de Tolstoï sur le fonctionnement du monde carcéral russe est
remarquable, à la mesure des fameuses 1000 pages du dossier de Zola pour Germinal,
et l’on pourrait très bien lire Résurrection comme une sorte de rapport
sur l’état des prisons russes au tournant du XIXème siècle. Pourtant, c’est sa le
rôle de la foi dans son roman qui va nous intéresser ici. Pourquoi ce choix, a
priori si lointain du regard sociologique que nous nous proposons de
déceler chez les écrivains. Eh bien parce que la foi chrétienne dans Résurrection,
avant d’être in fine considérée comme une solution, sous la forme pure
d’un retour aux Evangiles, à l’absurdité de la misère des prisons russes, est
avant tout un problème. C’est d’abord la fausse foi, la morale orthodoxe
bien-pensante, que Tolstoï entend dénoncer, car il voit en elle le support
idéologique des atrocités refoulées par la société dans ses prisons. En termes
marxistes, la superstructure d’une foi décadente supporte selon Tolstoï l’infrastructure
pourrissante des prisons.
La fausse foi
Le prêtre accomplissait son ministère, la conscience tranquille, parce qu'on lui avait appris dès l'enfance que c'était là la vraie foi, en laquelle avaient cru tous les saints antiques et que croyaient encore les supérieurs, clergé aussi bien que laïcs. Ce n'est pas qu'il crût que le pain se fût changé au corps du Seigneur, ou qu'il fût profitable de proférer un tas de mots, mais il croyait à ce à quoi l'on peut croire : et le principal c'était que depuis 18 ans qu'il exerçait son ministère, il gagnait largement sa vie et celle de sa famille, et que son casuel lui permettait d'entretenir ses enfants au collège.. C'était aussi ce en quoi croyait le diacre, et encore davantage, car il avait depuis longtemps oublié l'existence de tous les dogmes. Il ne savait qu'une chose, c'était le tarif des divers services. Et il donnait la voix dans ses invocations avec la même conviction avec laquelle d'autres vendaient du bois ou des pommes de terre. Quant à l'inspecteur et aux gardiens de la prison qui n'avaient jamais connu ni pénétré le sens des dogmes de cette religion, pas plus que la signification des cérémonies du culte, ils étaient persuadés qu'il est absolument nécessaire de croire en cette religion qui justifiait leur cruelle profession.. Sans elle, non seulement leur tâche eût été difficile, il deviendrait probablement impossible, sans remords, d'employer toutes ses forces à martyriser son prochain comme ils le faisaient. L'inspecteur était un si brave homme qu'il n'aurait pu mener cette vie, s'il n'avait trouvé appui dans cette foi. Et c'est pourquoi il donnait tant de signes de piété et de dévotion (... ) "
Pages 166 – 167, TOME I - XL –
Ce qu’il y a de remarquable ici, c’est que cette dénonciation de la foi comme idéologie, comme d’un gant pour la conscience permettant à l’homme de commettre des crimes sans s’en sentir coupable, cette dénonciation qui vaudra à Tolstoï l’excommunication de l’Eglise orthodoxe après la parution du roman, ne l’empêche pas de proposer comme principal remède à l’enfer des prisons la source même de cette foi dont il dénonce le dévoiement par l’institution religieuse. Ici, la foi n’est plus l’objet dont la plume acérée de l’écrivain dissèque les mécanismes psycho-sociaux, elle est sujet de son engagement pour une société fraternelle et juste. Certes Tolstoï ne fait plus alors figure de sociologue, mais la sociologie contenue dans l’objectivité de ses constats et l’impartialité de ses analyses vient finalement renforcer ses solutions…c’est ainsi que la résurrection du personnage principal à travers la redécouverte des evangiles ne survient qu’à la toute fin du roman, comme une prescription spirituelle obligée après un diagnostic sociologique rigoureux…
La vraie foi
Et le même phénomène se produisit chez Nekhludov qui se produit souvent chez les personnes accoutumées à la vie spirituelle. Une pensée, qui d'abord leur a paru étrange, paradoxale, fantaisiste, soudain s'éclaire à leurs yeux des résultats de toute une expérience jusque-là inconsciente, et devient aussitôt pour elles une simple, claire, évidente vérité. Ainsi s'éclaira soudain, aux yeux de Nekhludov, la pensée que l'unique remède possible au mal dont souffraient les hommes consistait en ce que les hommes se reconnussent toujours comme ayant une dette envers Dieu, et, par suite, comme n'ayant nul droit de juger ni de punir les autres hommes. Il comprit soudain que l'effroyable mal dont il avait été témoin dans les prisons et les convois, et que la tranquille assurance de ceux qui produisaient ce mal ou qui le toléraient, que tout cela provenait uniquement d'une cause très simple. Tout cela provenait de ce que les hommes avaient entrepris une chose impossible ; étant mauvais eux-mêmes, ils avaient entrepris de corriger le mal. Des hommes vicieux prétendaient corriger des hommes vicieux. Or, étant vicieux, ils ne pouvaient que propager le vice, au lieu de le corriger ; étant corrompus, ils répandaient autour d'eux leur propre corruption. La réponse que Nekhludov cherchait avec angoisse sans pouvoir la trouver, c'était la même réponse qu'avait faite Jésus à Pierre : la réponse était qu'on devait pardonner toujours, non pas sept fois, mais septante fois sept fois.
29ème et dernier chapitre.
Mais aujourd’hui qu’en est-il de l’état du système carcéral russe. Tolstoï n’est plus et il n’est pas sûr que la littérature russe contemporaine lui ait trouvé un successeur. Nous nous en remettons donc à l’effrayant documentaire « Les prisons russes », de Marie Lorand, diffusé en novembre dernier sur France Télévisions.
http://www.dailymotion.com/video/xqy9dr_inside-dans-les-prisons-russes_webcam
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mardi 29 janvier 2013
Fêtes de sang, fêtes de chair
Les regards sociologiques d’un missionnaire et d’un écrivain sur les figures respectives de la fête religieuse et du festin populaire.
Pour cette première chronique de l’année
2013, je vous propose d’aller chercher les sciences sociales là où on ne pense
pas les trouver : dans les récits de voyage d’un missionnaire franciscain
et dans la prose de Zola. Pour ne pas s’embarrasser de nuances, disons que les
premiers illustreront la catégorie des fêtes religieuses, empreintes de solennité
et organisées autour de rituels, tandis que la seconde décrira ce type de fête
immémorial que le faste d’un repas bien arrosé suscite sans exception.
Il était une fois donc une époque
lointaine où les universités n’accueillaient pas encore de sociologues, toutes
occupées qu’elles étaient à débattre de doctes sujets comme l’emplacement exact
du paradis terrestre ou le dénombrement des anges. Nous sommes au Mexique, au
milieu du XVIe siècle. Tenochtitlan, ex-capitale de l’Empire Aztèque, fume
encore de sa destruction par Cortès et ses conquistadors deux décennies plus
tôt…et parmi les décombres de la cité lacustre, sur les ruines d’un monde qui
se décompose à vue d’œil sous les assauts conjoints des lames des soldats,
des bibles des missionnaires et des germes de l’homme blanc, un homme, moine de
son état, de l’ordre pauvre des franciscains, va devenir le premier ethnologue
de l’Amérique. Bernardino de Sahagun, en apprenant le nahuatl, en enquêtant sur
le terrain, en allant interviewer ces indigènes de la Nouvelle Espagne et en
recueillant leurs récits avec exactitude malgré la répulsion que certaines
pratiques inspirait à sa morale chrétienne, va, sans le savoir, ouvrir la voie
à des méthodes de connaissance de la société que les sciences sociales
institueront trois siècles plus tard.
Dans le texte suivant, il décrit le
sacrifice d’une prêtresse du dieu aztèque Huixtocihuatl lors de la septième
fête annuelle :
Relation
de la septième fête annuelle : Tecuilhuitontli, Florentine Codex, L. II, chap.
26.
Et quand
l’aube se levait,
lorsque c’était déjà
[le jour de]
la fête, alors,
se parent les prêtres des offrandes, les prêtres
sacrificateurs. Et [ceux] qui s’appelaient Huixtotin se parent en olmèques,
se peignent le
visage chacun à
la façon des
olmèques [des prêtres
de Huixtocihuatl]. Leur ornement
de nuque, leur
ornement de papier
[fixé à la
mèche de cheveux de l’occiput] et
leurs insignes guerriers et parures sont faits avec des serres d’aigle, des
ornements de tête en plumes de quetzal, du duvet d’aigle.
Et tous
les gens du
commun regardent chaque chose ;
tous [ont] chacun
leurs fleurs, chacun leurs fleurs
d’œillet d’Inde ; et certains ont leurs fleurs d’artemisia.
Cela fait, ils montent [la personnificatrice
de] Huixtocihuatl au sommet [du temple de] Tlaloc. Avec [elle] ils font monter
les captifs pour lui servir de lit, ceux qui deviendront lit, ceux qu’elle
daignera emmener avec elle, ses accompagnateurs dans la mort, les premiers qui
mourront.
Et quand ils les ont fait
monter sur le temple de Tlaloc, alors on tue les captifs. Et une fois les
captifs morts, la [personnificatrice de] Huixtòcihuatl vient seulement à la
suite, elle ferme [la marche], elle va fermant [la marche], elle va fermant [le
groupe], elle le recouvre.
Et une fois cela fait, voilà
que déjà ils l’étendent [sur] la pierre sacrificielle, ils l’étendent couchée
sur le dos. Chacun [des prêtres] l’attrape, chacun [des prêtres] la saisit, ses
bras, ses jambes se tordent,
ils la courbent
en arrière. Et
leur façon de
saisir la tête
consiste à la conduire au plus près du sol. Et c’est
avec le rostre
d’un poisson scie
qu’il appuient fortement
sur son cou,
[un rostre comme] un harpon,
dentelé, très épineux, sur les deux côtés très épineux.
Et le sacrificateur se tient
prêt, se tient très droit. Aussitôt il lui ouvre la poitrine de part en part.
Et [quand] sa poitrine a été ouverte, le sang sort en jet, il gicle au loin,
c’est comme s’il jaillissait, comme s’il dégouttait, comme s’il bouillonnait.
Et une
fois cela fait,
alors il lui
saisit le cœur,
il le dépose
dans une calebasse vert-bleue qu’ils appelaient «
calebasse-pierre précieuse ».
Trois siècles plus tard, à Paris.
Loin des festivités religieuses en grande pompe et de la ferveur sacrificielle
aztèque, Zola nous décrit ans le chapitre VII de l’Assomoir, toutes les
stratégies d’acteurs se cachant derrière la simple échéance d’un dîner.
La fête, alors théâtre des égos et des statuts, devient lieu de
conversion des capitaux tangibles, social et économique, en capital symbolique.
On ne compte plus pour gagner en prestige !
La fête de Gervaise tombait le 19 juin. Les jours de fête, chez les
Coupeau, on mettait les petits plats dans les grands ; c'étaient des noces
dont on sortait ronds comme des balles, le ventre plein pour la semaine. Il y
avait un nettoyage général de la monnaie. Dès qu'on avait quatre sous, dans le
ménage, on les bouffait. On inventait des saints sur l'almanach, histoire de se
donner des prétextes de gueuletons. Virginie approuvait joliment Gervaise de se
fourrer de bons morceaux sous le nez. Lorsqu'on a un homme qui boit tout,
n'est-ce pas ? c'est pain bénit de ne pas laisser la maison s'en aller en
liquides et de se garnir d'abord l'estomac. Puisque l'argent filait quand même,
autant valait-il faire gagner au boucher qu'au marchand de vin. Et Gervaise,
agourmandie, s'abandonnait à cette excuse. Tant pis ! ça venait de
Coupeau, s'ils n'économisaient plus un rouge liard. Elle avait encore
engraissé, elle boitait davantage, parce que sa jambe, qui s'enflait de
graisse, semblait se raccourcir à mesure.
Cette année-là, un mois à l'avance, on causa de la fête. On cherchait des plats, on s'en léchait les lèvres. Toute la boutique avait une sacrée envie de nocer. Il fallait une rigolade à mort, quelque chose de pas ordinaire et de réussi. Mon Dieu ! on ne prenait pas tous les jours du bon temps. La grosse préoccupation de la blanchisseuse était de savoir qui elle inviterait ; elle désirait douze personnes à table, pas plus, pas moins. Elle, son mari, maman Coupeau, madame Lerat, ça faisait déjà quatre personnes de la famille. Elle aurait aussi les Goujet et les Poisson. D'abord, elle s'était bien promis de ne pas inviter ses ouvrières, madame Putois et Clémence, pour ne pas les rendre trop familières ; mais, comme on parlait toujours de la fête devant elles et que leurs nez s'allongeaient, elle finit par leur dire de venir. Quatre et quatre, huit, et deux, dix. Alors, voulant absolument compléter les douze, elle se réconcilia avec les Lorilleux, qui tournaient autour d'elle depuis quelque temps ; du moins, il fut convenu que les Lorilleux descendraient dîner et qu'on ferait la paix, le verre à la main. Bien sûr, on ne peut pas toujours rester brouillé dans les familles. Puis, l'idée de la fête attendrissait tous les coeurs. C'était une occasion impossible à refuser. Seulement, quand les Boche connurent le raccommodement projeté, ils se rapprochèrent aussitôt de Gervaise, avec des politesses, des sourires obligeants ; et il fallut les prier aussi d'être du repas. Voilà ! on serait quatorze, sans compter les enfants. Jamais elle n'avait donné un dîner pareil, elle en était tout effarée et glorieuse.
Cette année-là, un mois à l'avance, on causa de la fête. On cherchait des plats, on s'en léchait les lèvres. Toute la boutique avait une sacrée envie de nocer. Il fallait une rigolade à mort, quelque chose de pas ordinaire et de réussi. Mon Dieu ! on ne prenait pas tous les jours du bon temps. La grosse préoccupation de la blanchisseuse était de savoir qui elle inviterait ; elle désirait douze personnes à table, pas plus, pas moins. Elle, son mari, maman Coupeau, madame Lerat, ça faisait déjà quatre personnes de la famille. Elle aurait aussi les Goujet et les Poisson. D'abord, elle s'était bien promis de ne pas inviter ses ouvrières, madame Putois et Clémence, pour ne pas les rendre trop familières ; mais, comme on parlait toujours de la fête devant elles et que leurs nez s'allongeaient, elle finit par leur dire de venir. Quatre et quatre, huit, et deux, dix. Alors, voulant absolument compléter les douze, elle se réconcilia avec les Lorilleux, qui tournaient autour d'elle depuis quelque temps ; du moins, il fut convenu que les Lorilleux descendraient dîner et qu'on ferait la paix, le verre à la main. Bien sûr, on ne peut pas toujours rester brouillé dans les familles. Puis, l'idée de la fête attendrissait tous les coeurs. C'était une occasion impossible à refuser. Seulement, quand les Boche connurent le raccommodement projeté, ils se rapprochèrent aussitôt de Gervaise, avec des politesses, des sourires obligeants ; et il fallut les prier aussi d'être du repas. Voilà ! on serait quatorze, sans compter les enfants. Jamais elle n'avait donné un dîner pareil, elle en était tout effarée et glorieuse.
Mais si la fête est le lieu de tous les calculs, de toutes les
rationalités intéressées, la pression qui pèse sur elle et sur son succès en
font également, de manière paradoxale, un lieu de démesure. C’est parce qu’il
est coûteux de bien paraître devant tant de monde et durant de longs moments
que l’alcool coule à flot et la bonne chère abonde. Rendu possible par le jeu
subtil de l’esprit, la fête est aussi l’occasion d’une libération des corps. Dans
la suite du chapitre VII, Zola nous décrit ce lent craquèlement du vernis des
codes du savoir-vivre dans la fièvre apoplectique du banquet :
Alors, la maison craqua, un
tel gueulement monta dans l'air tiède et calme de la nuit, que ces gueulards-là
s'applaudirent eux-mêmes, car il ne fallait pas espérer de pouvoir gueuler plus
fort.
Personne de la société ne parvint jamais à se rappeler au juste comment la noce se termina. Il devait être très tard, voilà tout, parce qu'il ne passait plus un chat dans la rue. Peut-être bien, tout de même, qu'on avait dansé autour de la table, en se tenant par les mains. Ça se noyait dans un brouillard jaune, avec des figures rouges qui sautaient, la bouche fendue d'une oreille à l'autre. Pour sûr, on s'était payé du vin à la française vers la fin ; seulement, on ne savait plus si quelqu'un n'avait pas fait la farce de mettre du sel dans les verres. Les enfants devaient s'être déshabillés et couchés seuls. Le lendemain, madame Boche se vantait d'avoir allongé deux calottes à Boche, dans un coin, où il causait de trop près avec la charbonnière ; mais Boche, qui ne se souvenait de rien, traitait ça de blague. Ce que chacun déclarait peu propre, c'était la conduite de Clémence, une fille à ne pas inviter, décidément ; elle avait fini par montrer tout ce qu'elle possédait, et s'était trouvée prise de mal de coeur, au point d'abîmer entièrement un des rideaux de mousseline. Les hommes, au moins, sortaient dans la rue ; Lorilleux et Poisson, l'estomac dérangé, avaient filé raide jusqu'à la boutique du charcutier.
Quand on a été bien élevé, ça se voit toujours. Ainsi, ces dames, madame Putois, madame Lerat et Virginie, incommodées par la chaleur, étaient simplement allées dans la pièce du fond ôter leur corset ; même Virginie avait voulu s'étendre sur le lit, l'affaire d'un instant, pour empêcher les mauvaises suites. Puis, la société semblait avoir fondu, les uns s'effaçant derrière les autres, tous s'accompagnant, se noyant au fond du quartier noir, dans un dernier vacarme, une dispute enragée des Lorilleux, un « trou la la, trou la la », entêté et lugubre du père Bru.
Personne de la société ne parvint jamais à se rappeler au juste comment la noce se termina. Il devait être très tard, voilà tout, parce qu'il ne passait plus un chat dans la rue. Peut-être bien, tout de même, qu'on avait dansé autour de la table, en se tenant par les mains. Ça se noyait dans un brouillard jaune, avec des figures rouges qui sautaient, la bouche fendue d'une oreille à l'autre. Pour sûr, on s'était payé du vin à la française vers la fin ; seulement, on ne savait plus si quelqu'un n'avait pas fait la farce de mettre du sel dans les verres. Les enfants devaient s'être déshabillés et couchés seuls. Le lendemain, madame Boche se vantait d'avoir allongé deux calottes à Boche, dans un coin, où il causait de trop près avec la charbonnière ; mais Boche, qui ne se souvenait de rien, traitait ça de blague. Ce que chacun déclarait peu propre, c'était la conduite de Clémence, une fille à ne pas inviter, décidément ; elle avait fini par montrer tout ce qu'elle possédait, et s'était trouvée prise de mal de coeur, au point d'abîmer entièrement un des rideaux de mousseline. Les hommes, au moins, sortaient dans la rue ; Lorilleux et Poisson, l'estomac dérangé, avaient filé raide jusqu'à la boutique du charcutier.
Quand on a été bien élevé, ça se voit toujours. Ainsi, ces dames, madame Putois, madame Lerat et Virginie, incommodées par la chaleur, étaient simplement allées dans la pièce du fond ôter leur corset ; même Virginie avait voulu s'étendre sur le lit, l'affaire d'un instant, pour empêcher les mauvaises suites. Puis, la société semblait avoir fondu, les uns s'effaçant derrière les autres, tous s'accompagnant, se noyant au fond du quartier noir, dans un dernier vacarme, une dispute enragée des Lorilleux, un « trou la la, trou la la », entêté et lugubre du père Bru.
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