Quel mauvais tour Lars Von Trier a-t-il voulu jouer aux amoureux de Verlaine ? Melancholia, le titre de son dernier film, est aussi celui de la première partie des Poèmes Saturniens. Cette regrettable conjonction onomastique ne doit pas laisser croire un instant que l’œuvre maîtresse du « Prince des poètes » aurait pu trouver là un lointain écho au sein du septième art. Le film du réalisateur danois, pourtant récompensé à Cannes, s’égare entre ciel et terre, se délecte de poncifs psychologiques cents fois mis en images et finit par perdre le spectateur dans des tableaux alanguis que quelques pépites de mise en lumière et de plastique visuelle ne suffisent pas à rendre supportables.
La trame semblait pourtant tenir debout : une assemblée de gens fortunés célèbre le mariage de Justine (Kirsten Dunst) et de son ineffable époux. La fête a lieu dans un manoir huppé, sur les rives d’un lac et au beau milieu d’un impeccable golf dix-huit trous, mais Justine, la mariée rayonnante et insaisissable, révèle au peu à peu qu’elle n’est pas la femme heureuse et insouciante qu’on lui demande d’être. Sa sœur Claire (Charlotte Gainsbourg) le sait et, en tant que maîtresse de cérémonie, fait tout pour contenir le doute et la folie de Justine. En vain, celle-ci triomphera de l’ordre autoritaire que l’institution du mariage voulait lui imposer. Elle laissera le vide et le chaos derrière elle et pourra alors se donner toute entière à la perspective envoûtante d’un anéantissement cosmique. C’est l’objet de la deuxième partie du film où Justine, complètement déboussolée, observe l’approche de Melancholia en compagnie de Claire, sa sœur, de son beau-frère et de son neveu.
Mais à quelle sensibilité, à quel profil psychologique, à quel regard esthétique, Lars Von Trier a-t-il voulu s’adresser ?
Sa réflexion métaphysique sur le sens de la vie au milieu du silence des espaces infinis semble si soucieuse d’éviter les verbiages, si avide de signes obscurs et de non-dits, qu’elle finit par nous perdre dans le sillage de cette planète qui lui sert de décor. Si la métaphysique du réalisateur danois ressemble aux verdicts péremptoires des astrologues, sa sociologie n’est pas plus raffinée. Melancholia égrène les clichés sur la haute société, laquelle, érigée pour l’occasion au rang de métonymie du genre humain, se résume à un joyeux cocktail d’avidité (le patron de Justine), de froideur (la mère), de formalisme ridicule (le maître d’hôtel) ou de pitoyable insouciance (le père). Les choses gagnent-elles à être si simples ?
A l’inverse, quand elles devraient être complexes, elles se font obscures. Les sursauts énigmatiques du caractère des deux sœurs ne trouvent jamais d’explication véritable. Les personnages oscillent entre émerveillement et stupeur vis-à-vis de la trajectoire de Melancholia, mais ils semblent vivre cet évènement chacun de leur côté, en vase clos, et ne partagent que des banalités sur l’éventualité d’une collision. Apocalypse sidérale d’un côté, dialogues sidérants de l’autre !
Si Melancholia est un poème en images, il n’a décidemment rien à voir avec la mélancolie verlainienne.