mercredi 19 mai 2010

De la mousse pour les masses:

Nous sommes entrés dans un système de production où de plus en plus de biens informationnels et culturels voient leur valeur mesurée à l'aune du volume qu'ils occupent dans l'espace social (presse, Web, cinéma, littérature, publicité, scène politique, etc...), et non de la qualité de leur contenu: dans le jargon journalistique d'aujourd'hui, on parle de culture du BUZZ (CultureBUZZ est d'ailleurs le nom d'une agence de communication spécialisée dans le marketing dit "viral", c'est-à-dire visant à créer des informations se propageant selon les mêmes caractéristiques qu'un virus, par une chaine d'infections-réplications: la métaphore, assumée par les intéressés, est éloquente!).
Se développent ainsi des biens culturels que j'assimile à des mousses car ils ont la propriété d'avoir un rapport volume/masse gigantesque, c'est-à-dire de prendre une place dans les médias et l'espace public disproportionnée en comparaison de leur importance quant aux affaires humaines (la presse people en fait partie, mais il serait injuste de ne stigmatiser que ces relais de potins; la surenchère de publicité, de jeux de hasards, de sports paricipe tout autant de ce phénomène!); enfin, comme les bulles de l'écume, ils se désagrégent très rapidement, vite remplacés par de semblables spumosités...La prolifération des mousses dans l'espace culturel a le même effet néfaste que sur les toits de tuile; seulement, alors que sur ces derniers, ce sont les infiltrations d'eau que la mousse favorise, c'est l'intrusion (car pour beaucoup d'entre nous, il s'agit bien d'"intrus" dont nous aurions préféré nous passer) d'informations parasitaires que la "culture mousse" catalyse.
En outre, non seulement les informations et biens culturels mousseux envahissent nos écrans, nos ondes et nos journaux, mais ils ont également pour effet d'ignifuger le substrat social auquel ils s'appliquent. Tous comme les mousses d'extincteurs contiennent les flammes des incendies, les mousses culturelles étouffent le feu des consciences citoyennes. Car pour agir sur le monde, il faut d'abord le comprendre. Et pour le comprendre, il faut pouvoir l'observer, sans écrans de fumée ni nappes de trouble écume. Les pouvoirs politico-économico-médiatiques ont bien compris, et depuis fort longtemps, que l'arme la plus efficace contre l'instabilité sociale -hantise honnie des marchés- n'était pas forcément la poudre à canon. Souvent, le bain glacé de l'austérité couvert de la mousse volatile d'une culture sans consistance suffit! Avec l'arrivée de l'internet, de la télévision numérique et des journaux gratuits, l'expansionnisme et la vitesse de renouvellement des mousses ignifugeantes se sont considérablement accrus! Débordées, les consciences individuelles ont du mal à réagir aux évènements qui les touchent au premier chef et qui sont souvent maquillés en faits divers; asphyxiée, la citoyenneté même est mise en péril! Car dans un régime politique où les hommes passent leur temps à lire, écouter, regarder et consommer du vide, le risque est grand qu'ils finissent, un jour, par l'être à leur tour.